LA VOIX
Tendez l'oreille à ce chapitre nouveau, la voix mérite qu'on lui prête une oreille attentive. On ne parle pas assez de la voix, aussi voi(x)-là la voix.
A la naissance, le petit d'homme a toutes les capacités techniques et psychologiques pour émettre des sons couvrant de 4 à 5 octaves, bien que le larynx ne se mette en place, pour le garçon comme pour la fille, qu'au moment de la puberté. Sorti de la densité de l'eau, de la chaleur du liquide amniotique, il va se saisir des muscles de la phonation pour se faire entendre. La mère va favoriser cette expression, utilisant elle aussi sa voix "du corps".
La boucle de communication s'établit alors, et s'installe, durant une période qui va conduire l'enfant jusqu'au stade pré-verbal. Dans le même temps, le développement psycho-moteur va le conduire vers la position verticale, avec toutes les hésitations corporelles liées au déséquilibre. Au plan du langage, les premiers mots apparaissent et c'est alors que le seuil de tolérance auditif des parents va diminuer. Car, dès lors que l'enfant acquiert la position verticale, qu'il manipule les mots du langage pré-verbal, les attitudes des parents vont aller à l'encontre de la poursuite de ces perceptions. Ainsi, le prix à payer pour notre évolution, et notre maturation, est de nous entendre dire : "Maintenant que tu marches, ne traînes plus par terre", "Maintenant que tu parles, ne cries plus".
"Sois vertical et ne cries plus" : voilà comment des 5 octaves prometteuses, on régresse à une octave (registre d'un homme moyen non entraîné au chant).
Une octave correspond à une gamme complète :
Do - Ré - Mi - Fa - Sol - La - Si - Do
Et c'est alors que la voix, qui a été le lien entre l'organique et l'organisation, entre le corps biologique et le corps de la langue, voici donc que la voix est investie de cette fonction qui devient unique, faisant de l'enfant un "être de langage" linéaire, une "tête" quantitative, au détriment du corps biologique, de la "voix du corps".
Le cri, la voix du jeu, l'interpellation sonore puissante ne sera plus autorisée que dans la cour de récréation, de re-création, ou de régression.
Adulte, nous aurons encore cette perception inconsciente que sensation et mouvement sont réciproquement liés, et qu'ils constituent l'articulation intérieure du dynamisme vital : le souffle, le cri, le geste, sont des mouvements anarchiques répondant aux sollicitations du monde.
Ainsi, comme le dit "Grotowsky" : "Libérer sa voix, ce n'est pas travailler avec l'appareil vocal au sens où il faudrait fixer son attention sur le travail vocal, au contraire, il faut travailler comme si le corps chantait, comme si le corps parlait.
Notre voix devient alors notre "carte de visite". Créant un espace sonore repérable, reconnaissable, elle va permettre à l'autre de nous situer, de nous re-connaître. Elle nous dévoilera également, selon qu'elle laissera transparaître nos émotions, nos inhibitions, nos craintes. La boule dans la gorge, la voix qui se veut douce afin de nous séduire plus facilement, ou la voix tonitruante qui occupera l'espace de communication, sans laisser à l'autre une place sonore ...
Nous voilà encore dans notre voix ... Celle que l'on utilise pour se faire entendre et comprendre de notre environnement. En sortir, dépasser les limites, voir au delà d'elle, comment nous sommes "faits" vocalement, retrouver des voix dites "archaïques", retrouver la sensation qui nous fait prendre conscience que c'est notre corps qui porte cette voix, et qu'à être mal dans son corps, on est forcément "mal dans sa voix", trouver d'autre timbres, d'autres sonorités, d'autres émotions, découvrir ce qui est, ou a été caché, retrouver son identité ... Voilà quelques pistes de travail.
Notre voix est faite de vibrations reçues dans notre tête et notre corps. C'est pour cela que le magnétophone, le plus sophistiqué soit-il, ne rend jamais ce que nous entendons habituellement au travers de notre propres résonateurs.
Après le Chat de Geluck, le "raisonateur", voilà :
Nasreddin, le fou qui vous rend sage (ou bien le contraire), un ajout épicé qui donne encore plus de goût et de couleurs à ce mémoire. Voici donc une histoire que je placerais bien volontiers juste après le sentencieux (chantencieux) "Sois vertical, ne cries pas !
"Du haut du minaret, Mulla Nasreddin lance l'appel à la prière. Puis, il se précipite hors de la mosquée, en courant à toutes jambes.- Où vas tu Mulla ? lui crie un fidèle.- C'est l'appel le plus puissant que j'ai jamais lancé, hurle Nasreddin. Je m'en vais aussi loin que possible pour voir jusqu'où on peut l'entendre."Je me souviens avoir raconté cette blague initiatique sans réaction du public. Un silence total, glacial, me faisait de l'effroi dans l'dos !
Heureusement, j'ai été sauvé par un coup de gong (j'avais tout prévu). C'était la première d'une conterie musicale consacrée à Nasreddin. Sans mon coup de gong, je crois bien que je serai resté sans voix !!!
"Haltère-écho" !
Cette autre histoire du Mulla illustre ce constat : notre voix nous paraît étrange, étrangère, modifiée lorsqu'on l'entend enregistrée par un magnétophone. La conduction du son par les os "haltère" l'écho de l'égo, ce qui donne du tonus et du poids à la voix. Avec notre écoute placée sur la conduction aérienne du son, notre organe vocal nous paraît plus muselé que musclé.
Alors après, faut pas s'étonner si Nasreddin en fait des tonnes :
"Nasreddin chante sous sa douche et découvre le charme de sa voix. Cela lui donne l'envie de remplacer le muezzin.
Il se rend au minaret et se met à chanter.
Les fidèles sont agacés.
Rapidement, il constate que son chant est vraiment désagréable à entendre et pense qu'on aurait dû installer une douche dans le minaret. Mais voilà, le monde est mal fait !"
La suite, la semaine prochaine, d'ici là : "bon chant, bon vent !"