vendredi 12 décembre 2014

Mémoire de Yoga 5

LE SOUFFLE

Après tout ce travail manuel, soufflons un peu.

Homère agité par le souffle nouveau d'Eole :
Eole était le Dieu de tous les vents qui soufflent sur terre et sur mer. Il fit cadeau du vent à Ulysse et à tous ses compagnons, histoire de leur assurer un bon retour au pays. Ce ne fut pas la faute du Dieu si l'équipage du roi d'Ithaque ouvrit les outres gonflées d'Eole sans regarder l'étiquette, ni le mode d'emploi, ni le contenu. Vous connaissez la suite : les vents qui se déchaînent, qui s'abattent sur les vaisseaux, les vagues qui engloutissent les compagnons d'Ulysse.

On raconte qu'Eole, pour se consoler, fabriqua avec de la glaise, qu'il fit cuire au soleil de son île, un tout petit instrument, une sorte de petite flûte ovoïde, avec une dizaine de trous, puis il se mit à souffler dedans et cela donna ceci : DO RE LA SOL ! (il devait avoir faim).

- Pas mal, se dit Eole, mais il ne cessait de penser à qui était arrivé à Ulysse et ses compagnons.
Alors, il fit venir devant lui tous les vents, sans aucune exception, petits et grands, forts et faibles, vents du nord, du sud, brises caressantes, redoutable tramontane. Lorsque tous les vents eurent fini de s'aligner et de se tenir au garde-à-vous devant lui, Eole leur annonça qu'il avait décidé de tous les placer sous l'autorité du plus faible, du plus insignifiant de leur groupe.

- Votre chef, dit Eole, sera désormais le souffle de l'homme.

Vexé, le vent du nord, le plus fort et le plus redoutable parmi tous les vents, osa demander la raison de cette décision divine.

- C'est simple, continua Eole, le souffle de l'homme est, parmi vous, le seul capable de glisser par l'ouverture d'un roseau et de lui traverser le cœur sans le briser et sans lui faire le moindre mal.

- Flûte alors, se dit le vent du nord.

Depuis cette époque très lointaine, tous les vents vexés, pour ne pas dire enragés par la décision d'Eole, ont essayé de glisser à leur tour par l'ouverture du roseau et de traverser son cœur sans le briser, mais seul le souffle de l'homme a réussi cet exploit.

Ainsi, des milliers et des milliers d'hommes à travers le monde ont utilisé et utilisent toujours leur souffle pour faire vibrer le cœur du roseau.

"Écoute le roseau, sa plainte nous parle de séparation : depuis que l'on m'a coupé de la jonchée, mon souffle fait gémir les hommes."  Rûmi

Si le souffle qui chemine tout le long d'un roseau ne laisse pas de traces sur le cœur de l'instrument, il en laisse, et peut-être très profonde, sur celui de l'homme qui voit dans tout instrument à vent un prolongement de son propre corps, une imitation de sa propre voix, une tentative pour mieux concrétiser tout ce que cette voix veut et peut matérialiser : une plainte, une expression, un cri de joie ou une pensée secrète.
"Lorsque je joue du shenaï, j'ai l'impression de creuser un trou profond dans mon âme et d'en extraire avec chaque note, chaque modulation, une partie de sa substance divine".
Pour le musicien Indien, Daya Shankar, le souffle est la force qui lui permet de descendre au fond de lui-même.

La voix et le vent : des liens intimes relient l'un à l'autre. Pour les Musulmans, le roseau transmet le souffle divin. Toute musique sortant de pareils instruments prend un caractère sacré.
Les japonais considèrent le Shakuhachi (flûte traditionnelle à huit trous) comme un intermédiaire entre les forces matérielles et immatérielles.




Voilà, c'était notre épisode "retrouvaille avec notre mémoire de yoga" : "Le yogi : un homme musical" (écrit entre 1986 et 1988). A l'époque, internet n'existait pas, c'était fou (gogol), on vivait carrément sans Google.
Par exemple, avant, pour trouver d'exquises citations sur la flûte, c'était pas fastoche !
Maintenant, on consulte l'ordi et on se dit : "bonne pioche, cette pensée est loin d'être moche". On se sent comme un mioche qui se dit : "c'est dans la poche !".
"Le serin : trois notes de flûte dans un écrin de plumes."
Félix Leclerc
Plutôt que de s'étouffer dans des relations humaines dissonantes, mieux vaut suivre les conseils de Molière :
"Mettez, pour un jour, vos flûtes mieux d'accord."
On peut boire une flûte de champagne à la santé de Verlaine :
"Oh ! la nuance seule, fiance le rêve au rêve et la flûte au cor."
Ou bien se régaler de cette phrase de Georges Duhamel :
"Mais fluide comme un filet d'eau pure, un chant de flûte ruisselant dans l'ombre."
Ou de l'exquise excitation que procure cette citation de l'excellent Tagore :
"Ma vanité de poète meurt de honte à ta vue. O Maître-Poète ! je me suis assis à tes pieds. Que seulement je fisse de ma vie une chose simple et droite, pareille à une flûte de roseau que tu puisse emplir de musique." ("L'offrande lyrique")
Voici venir "l'appeau-théose" finale réalisée par un virtuose pas banal.
Pour l'illustration sonore de cet article, je vous présente un talentueux trouvère moderne que j'ai connu du temps où je vivais à Aulnay-sous-bois (93). Il m'a étonné et enthousiasmé plus d'une fois. Cela faisait un bail que je ne l'avais pas vu, je le connaissais expert en "piano à pouce", je le retrouve en joueur de flûte nasale. Aux âmes bien nez ...


... rien d'impossible, merci Axel Lecourt !
La semaine prochaine, on continue à voyager ... dans le temps et dans des sphères "ça vente". Eole le grec laissera sa place à Vayu l'hindou qui nous mènera au dieu-singe Hanuman. D'ici là, songez à être singe ... euh ! sage et prenez donc le temps ... de souffler.
Allez, bon vent à tous !!!




Pas trop fort quand même ....
- Mais qu'est-ce que c'est qu'ce cirque ?
- C'est celui de Fred (le dessinateur B.D du "Petit cirque").



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