vendredi 11 octobre 2013

"Les fils du vent"




"Té avès bartolo"*
Vu au cinéma "Le Rex" d'Andernos, ce bon documentaire de Bruno Le Jean, sur la vie agitée de gitans guitaristes, bluesmen de "Gitanie", dont la musique tient tête à toutes les misères qu'on leur fait subir sur cette terre. On va vivre, le temps du film, au tempo de "Ninine"Garcia (petit par la taille mais grand par le talent), "Tchavolo" Schmitt (l'ancien, le poète), Angelo Debarre (l'intello), et "Romano" (le costaud au coeur d'artichaut). Sur la photo, ils sont réunis (de gauche à droite) :


Biberonnéné au son de la guitare manouche, mioche grandi en plein air, dans une espèce de jungle gitane qui jongle "Django jingle", comment fait le jeune pour apprendre la musique dans laquelle il baigne ?
Et bien, c'est simple, il la prend, il la chope. Il s'en empare puis il s'en pare tel un trophée ("vous voyez ces accords là, j'ai été les chercher avec mes oreilles et mes doigts"). Les pères ne pourront pas dire qu'ils en ont "trop fait", en ce qui concerne l'éducation musicale de leur "marre-mots" qui préfèrent parler avec des notes. En fait, les pères ne leur apprennent rien verbalement, testant ainsi leur emballement, leur motivation. Ils font la fête à la musique, et les marmots se débrouillent, se décarcassent tout seul, pour tout piger intuitivement, au "feeling".
C'est un peu comme pour les musiques traditionnelles du Monde, l'apprentissage est oral, il n'y a pas de partition. On apprend par imprégnation. Cela me rappelle les cours que j'ai suivi avec un maître de musique iranienne : Hassan Tabar. Il n'était pas bavard, c'est le moins qu'on puisse dire. Pendant une heure, c'est à peine si j'entendais le son de sa voix. Par contre, du coup, je profitais à fond du son du santür (version iranienne du cithare, voisin du cymbalum roumain). Il montrait, je répétais et répétais jusqu'au moment où il n'y avait plus besoin. Puis, il me faisait découvrir une nouvelle phrase mélodique et je refaisait le perroquet jusqu'à ... ce que tout soit en place. Et là, c'était le nirvana, la grâce ! Dans le documentaire, l'anecdote sur l'étude, c'est Ninine qui s'y colle :
"On imitait les parents, moi je prenais la position de l'accord avec mes doigts et je courrais jusqu'à ma guitare pour les placer aux bons endroits sur le manche. Je les reproduisais et les corrigeais à l'oreille."
Pour ces artistes, éduquer un enfant, c'est lui mettre une guitare dans les mains pour qu'elle lui apprenne à vivre au milieu des autres. Face aux accords faussés et dissonants de la vie, ils recherchent l'harmonie. Leurs guitares sonnent plus justes que les mots. Leur guitare, ces amoureux en parlent si bien :

"Elle me nourrira quand je serai bien plus vieux. Ma guitare, c'est ma canne de vieillesse !" Tchavolo
Ou alors, version Romano :

"Ma guitare, c'est ma deuxième femme !"

Crédit dessin : L'excellent Cabu, qui a tout compris et qui dit l'essentiel avec un simple dessin.

M'enfin, tout ça c'est à cause de Django :

"S'il n'y avait pas eu Django, il n'y aurait pas autant de guitaristes." Angelo Debarre
Django, l'insaisissable : Après l'incendie de sa roulotte :

"Les docteurs lui avaient dit qu'il ne pourrait plus jamais jouer de la guitare. Alors Django a réinventé sa main. Plus tu le regardes, moins tu comprends comment il pouvait jouer. Il jouait avec deux, trois doigts et c'est comme si il avait trois mains." Tchavolo
Django, lui-même, était surpris et étonné de son jeu et de sa musique. Lorsqu'on lui faisait écouter un de ses enregistrements, On pouvait l'entendre dire :
- Oh ! Ma mère, mon dieu, qui est-ce qui joue ça ?
- C'est vous bien sûr !
- Oh ! Non, c'est pas vrai, c'est pas possible !


Ce n'est pas évident de trouver des vidéos de Django en concert. On l'a très peu filmé, et c'est navrant ! Pas étonnant de le sentir surpris quand il s'écoute. Il se serait vu en train de jouer comme un dieu, il aurait sûrement été moins dubitatif. Dans ce document, il partage la vedette avec de grandes pointures du jazz. Idem, dans cet épatant film d'animation de Sylvain Chomet : "Les triplettes de Belleville", et son "câlin d'œil" moqueur.



*"Té avès bartolo" : Bonjour ! Ou plus précisément : "Que tu viennes chanceux (ou heureux)".
A savoir : Le terme "Tsigane" rassemble les Roms, les Manouches et les Gitans. Le mot "Tsigane", se dit aussi "Égyptien", qui vient du grec "Sigyptès". Ce dernier a donné Gitans, Gypsy (anglais) et Gitano (espagnol).

Voilà, tous les chemins mènent au Roms. N'en déplaise à certains, à qui je dis la "Pensée du Jour" :
"Chèl Roma, chèl droma" (cent Roms, cent routes).
Je fais remarquer au pas sages, que ceux qui veulent vivre sans Roms, vivent peut-être déjà sans route (faisant, tel le hamster, du surplace).
Voici le mot de la fin, des gadjos* rigolos (gagdjos aux canes*Django) aux niglos* Django joueurs de "canne de vieillesse" :
"Ja devlèssa, latcho drom" (Au revoir, bonne route).

*Canes : oreilles.
Niglo : Hérisson (symbole tzigane).
Gadjo : celui qui n'est pas gitan.



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